- Bon ! Moi je veux bien t'accompagner mais seulement si je peux aller voir mes collets.
Et bien sûr Manon avait refusé, prétextant que les premières herbes n'attendaient pas. Comme si on ne pouvait pas vivre sans herbes ! Berk ! Parlez plutôt à Jehan d'un bon lapereau grillé qui aurait mangé ces tendres herbes. Là, il comprenait. Car les herbes, c'était bon pour les animaux pas pour les chevaliers comme lui. Pourtant Manon avait insisté, et surtout Nanoue la gouvernante avait recommandé au "chevalier" Jehan de protéger la jeune fille pendant sa cueillette. C'est qu'en cette fin de février, alors que la campagne sortait à peine de l'hiver, une jeune fille n'était pas forcément en sécurité. Il traînait sur les routes des malandrins en quête de toutes sortes de nourriture et pas seulement celles en rapport avec le ventre.
Et voilà comment Jehan s'était retrouvé, bien malgré lui, à accompagner une jeune servante et à supporter les quolibets des gardes. Ils ne payeraient rien pour attendre ceux-là ! Quand il ramènerait ses lièvres ou lapereaux, il se débrouillerait pour les faire baver d'envie. Et pendant ce temps, Manon, toute heureuse de sortir des cuisines, lui expliquait ce que Nanoue comptait faire des herbes nouvelles : une salade variée, ou bien une omelette ou encore du jus adouci avec des carottes. Pour que ses maîtres profitent de tous les bienfaits de la nature. Bref, un sujet qui ennuyait fortement Jehan. Il soupira. Quelle corvée ! Puis il siffla Luna.
Luna, la louve d'Elayne, ne quittait plus le jeune garçon, surtout depuis que sa maîtresse passait le plus clair de son temps en le Palais de Périgueux. Jehan ne comprenait pas pourquoi sa Dame préférée fuyait ainsi la Rabatelière. Etait-ce la présence de Pârys, son enfant ou celle des filles du Comte, Mahaut et Orkaange ? Il faut dire que l'un comme les deux autres étaient difficilement supportables. Le bébé hurlait toute la journée, et les bâtardes tout autant, mais pour d'autres raisons. Disputes incessantes, courses de poneys, vols de bouteilles, poursuites de poules, elles avaient de quoi s'occuper en hurlant. Finalement, Elayne était mieux à Périgueux. Pourtant un peu d'autorité n'aurait pas fait de mal en ce château même si Nanoue le dirigeait d'une main ferme. Mais elle vieillissait la nourrice d'Elayne.
Soupir de Jehan. Finalement, ce n'était pas si mal d'aller cueillir des herbes. Au moins, il allait profiter du silence de la campagne.
Ils venaient de franchir l'enceinte du château. Luna, comme à son habitude, se mit à vagabonder. Avec l'hiver, il était rare qu'elle aussi puisse se promener à l'extérieur. Et en cette belle journée, les odeurs étaient exquises. Elle galopait en humant l'herbe, quand soudain elle stoppa et se mit à grogner. Jehan, aussitôt en alerte, arrêta Manon, dégaina son épée et s'avança vers Luna qui grognait de plus en plus fort. Il aperçut alors un homme à terre. Etait-ce une feinte ? Il fallait s'attendre à tout.
- Luna, tiens-le en respect !
Puis s'adressant à l'homme :
- Ma louve vous sautera dessus si vous faites le moindre mouvement. Et vous pouvez me croire qu'elle ne vous lâchera pas. Qui êtes-vous ? Que faites-vous par ici ? Ce sont les terres du Comte d'Aubeterre et nul ne peut y pénétrer sans son accord.
Jehan faisait le fier mais il ne l'était pas particulièrement. Les hommes d'armes du château lui avaient raconté tant d'histoires de batailles, de guerres, qu'il se demandait s'il n'était pas en présence d'un malandrin qui feintait l'épuisement.